Jour 43

Jour 44

 

-J'écris un journal.

-Ah oui ? Depuis le début du confinement ?

-Oui.

-C'est bien, c'est bien...

Il m'avait répondu les yeux dans le vague, comme si l'idée d'écrire l'avait fait remonter loin dans le temps.

Toujours une cigarette blanche. Après quelques verres on avait du mal à se comprendre.

 

Il y a des gens avec qui l'osmose perdure. Malgré les quelques verres qui vous font dire n'importe quoi et pas toujours dans le bon sens. Et on se retrouve ensemble à chanter dans les rues, et à se permettre un peu de se sentir exister.

 

-

 

Ma mère au bout du fil. Il faudrait que je lui dise. Les médocs, tout ça. Pourtant je n'arrive pas à m'y résoudre.

Elle est si sévère dans son indifférence.

 

J'ai les mains qui tremblent lorsque je raccroche. Alors je cède.

Drugs. Pilule. Cigarette. Et ma réalité devient plus élastique. Souple et légère, comme le corps le corps d'un chat. Une réalité dans laquelle on peut se blottir.

 

-

 

Le nid a des allures de forteresse. Le temps et le réel n'y pénètrent pas. Plus aucun cauchemar n'y rôde depuis que je compte les jours sur mon pilulier. Je suis devenue d'un lassitude étrange. Je n'ai même plus l'énergie de faire preuve d'un peu de cynisme. Plus rien ne m'atteint, le monde m'effleure seulement, quand je discute avec Armand, ou quand je me penche suffisamment par-dessus la rambarde du balcon pour voir passer du voisinage, quelques étages plus bas.

 

 

Jour 45

 

J'ai beau savoir quel jour nous sommes, ne n'ai plus la notion du temps.

Les heures se confondent.

Je ferme les yeux en baillant et les ouvre pour m'apercevoir qu'il fait déjà nuit.

La nuit.

Je sors et je marche comme un somnambule aux heures où la ville sommeille. Je suis amorphe, métamorphe, je perds le contour de moi.

 

Jour 46

 

C'est Armand qui m'a avertie. "Tu deviens bizarre", il a dit. J''ai beau savoir qu'il a raison, je n'ai rien écouté.

"Je dors", je lui ai répondu. "Je dors enfin. Tu n'as pas idée de l'usure, je dors, tu comprends ? Je dors. Personne ne me regarde plus, il n'y a personne pour jouer dans mes miroirs, dans les yeux des peluches, avec mon reflet. Je dors..."

Je lui agite ma boîte de médicaments sous le nez.

"C'est délicieux. C'est reposant.

-C'est de la merde.

Il est contrarié.

-C'est mieux qu'un exorciste" je réponds. 

Il soupire, mais il m'aime bien je crois, alors il ne rajoute rien. Du bout de ses longs doigts il replie sur elle-même une de ses oreilles, comme pour en accentuer le pli. Armand est merveilleux pour tous ces gestes infimes. Tout à l'heure, il considérera sa montre d'un air presque soucieux et réajustera la distance entre ses yeux et le cadran avant d'y voir tout à fait clair et d'énoncer l'heure exacte.

S'il c'est son heure il dira "et bien jeune fille..." et se lèvera en appuyant ses mains sur ses genoux. S'il reste il dira simplement "j'ai le temps". 

 

 

Jour 48

Je n'ai pas pris le temps d'écrire.

A vrai dire je n'ai pris le temps de rien.

Ma mère a appelé un certain nombre de fois, j'ai vaguement répondu que j'étais occupée.

J'écris sur les murs quand je suis éveillée.

Dehors, des vagues de chaleur font transpirer la ville, ça sent le béton brûlé jusque sous mes fenêtres. Les mouches se cognent aux vitres, leur méprise fait un bruit ridicule.

 

Je me gave de silence, et des mauvais accords d'un vieux groupe de punk.

Je fume allongée. L'odeur du tabac imprègne tout. Mes vêtements, mes draps, mes cheveux. Le hibou pourtant, pour une raison qui m'échappe, continu à sentir quelque chose entre le plastique et l'encre d'imprimerie.

 

Je me traîne pour applaudir à la fenêtre. Armand m'a fait un signe, quelque chose qui pourrait vouloir dire "tout va bien ? ça n'a pas l'air".

Et nous nous retrouvons en bas des tours. On discute un peu. Il n'a rien amené à boire, parce que pour moi c'est déconseillé maintenant, et qu'il ne veut "pas m'inciter".

 

Sa prévenance m'énerve.