Sixième semaine


Jour 36

J’ai joué toute la nuit à faire grincer mes dents.

Bruxisme. Je n’ai que ce mot dans la tête, et je le sens m’envahir.

Je le fais siffler entre mes dents serrées. Mes mâchoires me font mal, une sensation qui me revient comme le relent d’une drogue pressante.

Bruxisme. Faire crisser les canines.

Je découpe des formes dans du papier noir, dans les pages sombres des journaux. Je colle le mot sur le mur, en grand.

 

BRUXISME

 

 

Très grand.

 

Et mon angoisse prend toute la place. Et je fume.  

 

 

Je sors faire quelques courses. Mes placards sont vides depuis plusieurs jours. Je ne mange presque plus de toute façon.

J’achète du tabac. De l’alcool et des allumettes. Je ne regarde pas les gens dans les yeux. J’ai peur qu’ils y voient la lueur folle qu’a fixé la solitude sur mes pupilles. Je paie tête baissée et je rentre chez moi.

On m’appelle sur mon téléphone mais je n’ai plus envie de jouer. Plus envie de jouer à la fille, à l’amante, à l’amie en détresse, à la sœur avisée. Je n’ai plus envie de jouer à rien. Quelque chose, comme un déclic s’est produit. Je ne pourrais pas l’expliquer. J’ai le sentiment de me changer en monstre. Rien ne m’habite plus que l’amertume, et la féroce sensation de ma métamorphose.

En bas de chez moi, j’ai croisé le regard d’un enfant. A cet instant, j’ai su qu’il m’avait vu. Qu’il m’avait reconnu. Les enfants savent les monstres, là où les adultes résignés ne voient plus que des ombres.

 

Jour 37

 

Quelque chose s'est penché sur moi pendant mon sommeil. Quelque chose qui s'est à nouveau attardé dans mes yeux.

Cette fois c'est sûr, il y a quelque chose. Quelque chose qui vit chez moi et qui me veut du mal.

Le vrai m'apparaît désormais.

 

J'ai brisé tous les miroirs dans l'appartement. Quatre au total. 

Méthodiquement, froidement.

J'ai assassiné mon reflet, j'ai détruit mon engeance.

Je sais que c'est là que cette chose se cache.

 

Je le jure j'écrirais de jolies choses. Plus tard.

 

Je me sens sale. J'ai chaud, il fait terriblement chaud.

Je transpire, mes vêtements me collent à la peau. Je n'arrive pas à me lever, je reste là, au milieu des fragments de miroirs brisés, qui sont autant de regards espiègles pour me surveiller.

 

Je les sens peser sur mon corps, ces regards fixes, m'empêcher de me lever, me plaquer au sol.

Après quelques minutes, je parviens à me lever, j'enlève les débris. La présence s'évanouit.

 

Jour 38

Je ne veux plus dormir. La chose est revenue pendant mon sommeil.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je suis en train de devenir folle.

J'ai appelé ma mère au téléphone et j'ai entendu un rire. Un rire de petite fille. Mais elle m'a assurée être seule, personne n'avait rit. J'ai cru avoir mal entendu mais le rire est revenu, cristallin, glaçant.

J'ai mis fin à la conversation. J'étais terrorisée à l'idée que cette voix qui riait se mette à dire quelque chose. Je n'ai plus répondu au téléphone après ça.

 

-

J'ai passé la journée et la nuit, dans un silence immobile, de peur que le rire ne revienne dans un bruit quelconque, caché entre deux notes ou entre deux répliques.

 

Jour 39

 

Je n'ai pas dormi. Le café que j'absorbe à longueur de journée n'arrange rien à ma nervosité et je porte douloureusement mon estomac acide de part et d'autre de mon appartement.

A la tombée du soir, j'éteins toutes les lumières de peur de voir mon reflet dans une vitre, et je replonge le nez dans de vieilles photos et dans les livres que j'ai aimé. Pour ne pas tomber de fatigue, je mange. Et l’écœurement qui me vient rapidement me fait prendre conscience que j'ai passé les derniers jours avec le ventre vide. 

Sur internet, ils disent que la faim peut provoquer des hallucinations.

Je m'applique à manger un peu mais je n'ose toujours pas dormir.

 

Jour 40

 

Je me suis assoupie quelques heures sans le vouloir, à la tombée du jour et je n'ai rêvé de rien. La présence semble s'être évanouie et j'ai l'impression d'être une foutue hallucinée.

 

-

 

Le soir j'ai retrouvé Armand, sa silhouette longiligne et ses cigarettes au papier blanc et à la fumée épaisse.

Je lui ai tout raconté. Il a écouté sans m'interrompre.

-Tu crois aux esprits ? a-t-il finalement demandé.

-Je ne sais plus. Je ne sais plus rien. J'ai essayé de ne pas avoir peur, d'ignorer cette...cette entité, de me dire que ce n'était que mes cauchemars mais...

-Mais tu n'as pas réussi à te convaincre.

-Mais ça a continué. Mon reflet qui ne me ressemblait plus, les grands yeux dans mes cauchemars, un poids sur la poitrine au réveil.

-Un incube.

-C'est exactement ça. Mais ça ne peut pas exister.

-Tu as peur et tu refuses quand même d'y croire ?

Je n'ai rien répondu, j'ai fouillé mes poches une à une. Armand m'a tendu une cigarette et le feu pour l'allumer.

Après un moment d'hésitation, je pris le tout. J'inspirai une large bouffée.

-La question n'est pas de savoir ce qui est vrai, a reprit Armand, mais de savoir ce dont tu as besoin pour te sentir en sécurité.

-Honnêtement je n'en sais rien, j'ai répondu.

-Est-ce que cette chose...

-Impression.

-Est-ce que cette...impression te suis en dehors de chez toi ?

Je pris un moment pour réfléchir.

-Je ne crois pas.

-Bien. Si ça revient j'ai une place sur le canapé.

-Et si ça...vient chez toi ?

-Je croyais que ce n'était qu'une impression, releva-t-il, railleur.

Je lui souris. Sa cigarette m'avait asséché la gorge et je me servis un verre.

 

Jour 42

 

Les deux derniers jours sont passés très lentement. Avec beaucoup de douceur.

Armand m'a incité à appeler un psychiatre puisque, a-t-il dit, je ne crois pas aux exorcistes.

Depuis que j'ai parlé de cette présence, j'ai le sentiment que nos conversations sont une joute perpétuelle entre la fable et la raison. "Et pourtant, j'ai de nombreux amis, rationnels, qui croient aux esprits." m'a-t-il assuré. 

Le psychiatre m'a rédigé une ordonnance.

 

J'ai écrit

Drugs

en grand sur le mur.

 

Et j'ai pris exactement ce qui était indiqué sur la boîte.

J'ai le sentiment de flotter, de vivre entre deux parenthèses, dans un livre qui raconte l'histoire d'une femme que je ne suis plus certaine d'être.

Quelque s'est tu de ma terreur. Et pourtant je ne me sens pas sursitaire.

J'ai dormi. Dormi comme une tombe pendant deux jours, sans cauchemars, sans avoir la gorge nouée la poitrine compressée.

 

                                              Drugs et dormir                          Drugs et rêver

 

 Drugs et la lenteur, la lenteur infernale qui me font me traîner sans force d'un bout à l'autre de l'appartement

 

                                                        Drugs qui me font rouler d'une main molle mes cigarettes

 

Drugs pour coller maladroitement de la poésie sur les murs

 

Drugs holy shits